« Accords dits du Ségur », pourquoi la CGT ne les a pas signés ?

Il peut sembler, en effet, contradictoire en apparence qu’un syndicat aussi représentatif et majoritaire dans la Fonction publique hospitalière (c’est dire sa responsabilité), que la CGT n’ait pas signé les accords dits du « Ségur de la santé » en juillet 2020. La pandémie de « Covid19 » étant passée par-là, avec toutes ses funestes conséquences et son cortège d’épreuves et de difficultés, les professions de la santé, du soin et du lien social, déjà bien fragilisées depuis tant d’années, méritaient bien que la puissance publique, les responsables patronaux et directions s’activent à leur chevet après tant de visibilité en première ligne … et le soutien de l’opinion publique devant ces métiers si essentiels pour la société, sous-valorisés et manquant d’attractivité.

Nonobstant la réputation, largement imméritée, de la CGT de ne jamais signer d’accords (ce que les faits démentent), un peu de pédagogie s’impose donc …

Revenons d’abord sur la notion « d’accords » : il s’agit d’engagements réciproques négociés, conclus et signés qui engagent les différentes parties dans un ensemble de droits et d’obligations. Signer un accord c’est donc le valider et le reconnaître mais c’est aussi s’engager.

Et c’est là que la notion de signature est cruciale.

Bien sûr que le complément de traitement Indiciaire de 183 euros nets mensuels a représenté un gain non négligeable sur les salaires des agents et salariés concernés (même s’il subsiste aujourd’hui encore de nombreux professionnels du secteur privé exclus de cette mesure du « Ségur ») et il ne s’agissait pas, pour la CGT, de s’opposer à ce que les agents et salariés concernés gagnent davantage. Cependant, s’agissant notamment des agents de la Fonction publique hospitalière, cela a représenté davantage un début de rattrapage
du manque de pouvoir d’achat depuis le gel du point d’indice de 2010, qu’une véritable compensation (sans prendre en compte l’inflation actuelle).

Mais cette mesure fut la plus spectaculaire et la plus médiatisée : les agents et salariés concernés avaient enfin obtenu la hausse de salaire qu’ils revendiquaient depuis longtemps.

Ils ne devaient donc plus se plaindre (réduisant par-là les revendications des professionnels de ces secteurs à
des questions pécuniaires, alors qu’ils communiquent depuis de nombreuses années, et de manière criante, sur les conditions de travail et de soins dégradées).

Le « Ségur de la santé » comportait aussi son cortège d’autres mesures (aujourd’hui présentées comme le second volet du «Ségur» ou «Ségur 2»), en apparence plus techniques, et moins connues du grand-public : comme les primes d’engagement collectif ou encore la contractualisation d’un volume d’heures supplémentaires majorées (ou la poursuite de la politique du « travailler plus pour gagner plus » d’un ancien président de la République française pour ne pas le citer).

Là aussi signer l’accord dans sa globalité aurait signifié reconnaître ces mesures … parfaitement contraires avec les revendications de la CGT qui, en tant que syndicat représentatif et responsable, ne pouvait se permettre de se dédire au risque de manquer de cohérence et de lisibilité et donc se compromettre.

Car la CGT ne revendique pas de primes (non soumises aux cotisations sociales donc ne cotisant pas pour les retraites) mais des hausses de salaire (car les cotisations sociales sont du salaire socialisé)…

Car l’engagement collectif, notion provenant en droite ligne du néolibéralisme dénoncé par la CGT, poursuivra la mise en concurrence des travailleurs … et ne sera pas une reconnaissance du travail fourni puisqu’il faudra travailler davantage pour mener à bien les projets transversaux …

Car la CGT, toujours revendiquant des hausses de salaire, ne saurait se satisfaire de l’incitation financière à «
travailler plus pour gagner plus » … bien au contraire, elle demande que cet argent aille dans la création de postes qui font tant défaut aux soignants comme aux patients et résidents … Elle demande aussi, en cohérence avec sa philosophie, que le travail ne soit pas vu comme l’unique finalité du projet de vie de la personne ou du projet de société qu’elle défend.

Enfin, alors que le système de santé public, jadis tant vanté internationalement, si fragilisé ces dernières décennies, était à genoux à la suite de la pandémie : la crise qu’il traversait aurait pu être l’occasion d’une profonde réflexion et refondation en en réformant la gouvernance mais aussi les modes de financements si délétères (comme la T2A*) qui sont aussi en cause dans la crise actuelle des candidatures et du maintien dans l’emploi (mais aussi dans la crise de sens de ces services publics gérés comme des entreprises devant être rentables).

Cela n’a pas été le cas et c’est largement une occasion manquée car le « Ségur de la santé » ne s’est occupé que de la partie émergée de l’iceberg.

Il faut néanmoins user de cette pédagogie, qui mériterait largement un développement significatif, pour en expliquer toute la technicité.

Pour toutes ces raisons, et en toute cohérence avec elle-même, il n’était pas possible, pour la CGT, de signer ces accords … même s’il a été entendu que ceux-ci pouvaient représenter un ensemble d’avancées et donc un « point d’étape ». Ce serait alors mal comprendre la notion d’accords pour l’État, d’une part car il n’était pas prévu de clause de revoyure pour réviser les axes de négociation initiaux prévus par le « Ségur », d’autre part l’État communiquant sur les capitaux publics historiques (certes impressionnants, plus de 8 milliards d’euros) mobilisés de manière inédite dans la santé publique il n’était pas question, pour lui, d’aller plus loin que ces accords, contredisant d’emblée cet argument dit du « point d’étape ».

(*la tarification à l’activité est le mode de financement unique des établissements de santé, publics et privés. Lancée en 2004 dans le cadre du plan « Hôpital 2007 », elle repose sur une logique de mesure de la nature et du volume des activités et non plus sur une autorisation de dépenses)

Merci à LM de la santé pour cette article

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